L’actualité et l’urgence doivent avoir une place de choix dans la production médiatique. Rendre compte du monde au rythme du monde est une tâche difficile et indispensable. Mais il faut prendre garde à l’inversion de cette proposition : des «médias au rythme du monde» au «monde au rythme des médias». Ce retournement est une question mécanique : le rythme des médias, c’est la durée des reportages, c’est le rythme des montages, les sollicitations multipliées du fait de la multiplication des chaînes, stations et sites. Le rythme des médias, c’est une part de nos vies, du rythme de nos vies.
De ce retournement naissent des stratégies de communication, de «storytelling» : transformer les faits en «histoires», en «contes» pour les médias, leur donner à raconter chaque jour une communication organisée, sous forme d’une actualité urgente mais bien construite, dont ils ont besoin pour nourrir leurs antennes ou leurs pages. Pour une part, les médias sont agis par ceux qui savent tirer un intérêt de ce besoin d’«actualité urgente», devenu vital. C’est le piège de l’urgence, avec des conséquences majeures sur le débat public. En la matière, l’été nous a livré deux exemples bien scénarisés.
Le premier concerne les Roms : le glissement d’un fait divers précis vers des mesures radicales et générales. Le fait divers (la mort d’un jeune conducteur, le 16 juillet alors qu’il forçait un barrage de gendarmerie dans le Loir-et-Cher, ayant entraîné des saccages) a donné lieu à des déclarations visant d’abord tous les «gens du voyage», puis à des mesures concernant spécifiquement les Roms. Une étape après l’autre, il y a là quelque chose qui se raconte, des causes et des conséquences. Bref, la forme d’une histoire et le parfum de la logique pour des décisions qui ne répondent en réalité à rien d’actuel ou d’urgent. Et qui ont tout d’arbitraire.
L’autre exemple est celui du fait-divers de Grenoble (le 16 juillet aussi, un casino braqué, un malfaiteur tué par les forces de l’ordre, puis en réaction des incidents violents, dont des tirs sur les policiers), qui a précédé un discours présidentiel envisageant la déchéance de la nationalité française pour les délinquants s’en prenant à des représentants de l’ordre, mesure adoptée le 30 septembre à l’Assemblée nationale. Une fois encore, une question sans rapport avec les faits (celle de la nationalité), devient centrale et nourrit la vorace machine del’actualité urgente.
Relater les faits, relayer les déclarations, cela doit se faire. Entrer dans l’analyse après l’événement, mettre en perspective, c’est souhaitable. Mais pour que chaque média puisse éviter d’être l’objet de ceux qui savent utiliser sa voracité de faits nouveaux et pour permettre une autre manière de dire le monde, il faut envisager de nouvelles formes qui, sans forcément contrer les stratégies de communication, offrent des alternatives.
Cela passe par le subjectif assumé, le poétique, l’expérience intime, le temps long (radio et télévision) ou les reportages au long cours. Se placer parfois loin du point d’ancrage de l’actualité, pour dire autant et peut-être plus et mieux du monde, en entrant dans le domaine du ressenti. Un autre rythme apparaît alors, une autre note aussi, contre l’urgence. Cette autre focale existe par endroits. La revue XXI,régulièrement portée en exemple, l’a adoptée : longs reportages, formes variées (textes, dessins, photos).
Faut-il aller chercher les exemples dans le passé ? Dans le subjectif des enquêtes de plain-pied de certaines années d’Actuel qui disaient l’époque avec un léger temps d’avance ? Faut-il évoquer des figures marginales que la postérité réhabilite, comme Hunter S. Thompson (1937-2005), qui «fictionnait» ses reportages dans le magazine Rolling Stone sous l’influence de substances, et qui n’a pourtant jamais cessé de vouloir dire le rêve américain, son devenir et sa disparition ?
Voilà des caractères, on y adhère ou pas. On s’en souvient, ou pas. Mais il est sûr qu’ils tordaient les calendriers officiels. Allons chercher du côté des poètes. François Billetdoux (1927-1991), homme de théâtre et de radio, parlait de «notre histoire non événementielle», qui devait avoir sa place sur les ondes. Georges Perec (1936-1982) parlait de «l’infra-ordinaire», contraire de l’extraordinaire, la beauté du quotidien pour raconter le monde.
Certes, les médias – radio, presse écrite, télévision, sites d’information – n’ont pas pour vocation de devenir des lieux d’expériences uniquement formelles. Mais c’est dans ces approches hétérodoxes (et ces prises de risque) qu’on peut trouver une voie de liberté médiatique. Donner à entendre, à voir, à lire une véracité du monde, en «relief», passe par l’exploration du subjectif, du marginal, de l’intime. Des dimensions qui doivent occuper leur pleine place dans les médias, quels qu’ils soient. Comme un travail de fond.
Crédits photos cc FlickR : ƅethan, young_einstein, Profound Whatever.
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Tribune initialement publiée sur Liberation.
]]>Mais c’est en lisant cette phrase…
Je n’ai pas encore trouvé de dope qui puisse vous faire monter aussi haut qu’être assis à un bureau à écrire
… que m’est venue l’idée de vous proposer un petit précis de journalisme Gonzo à partir de quelques citations extraites de cet ouvrage précieux… Ceux qui suivent mon compte Twitter y reconnaîtront l’un de mes épisodes prosélytes maniaques. Pour les autres le tour de manège est gratuit. Place donc au journalisme selon Hunter en six leçons !
Le BA à BA du journalisme, mais qui prend encore vraiment le temps d’ouvrir grand les yeux aujourd’hui à l’ère du journalisme Shiva ? “Il ne prenait pas de notes mais il observait et se souvenait bien des choses” (…) “Il était toujours extrêmement tendu, grave sur les nerfs et aussi très concentré, d’une manière que seul quelqu’un ayant ce sens de l’observation peut imaginer” (témoignage de William Greider du “Washington Post”)
“La brillance de Hunter et de son journalisme demi-halluciné, c’est qu’il donnait la vérité des choses. Il exagérait, décrivait des luttes titanesques (…) c’était excessif, mais vrai en un sens plus profond” (William Greider du Washington Post)
Bien sûr en cherchant la Vérité avec arrogance et folie, Hunter ne se fit pas que des amis. Voilà ce qu’il disait de ses confrères journalistes : “Il n’y avait pas de place dans leur univers plein de suffisance pour un homme méprisant la médiocrité – qui ne permettait à rien ni à personne de se mettre en travers de la vérité. Le monde de la grande presse américaine était une plaisanterie débile, le cimetière ultime des marchands de ragots et de ballots prétentieux”.
“Hunter Thompson apprit à imiter dans sa prose l’effet explosif des drogues sur l’esprit” (le critique littéraire Morris Dickstein).
Ce n’est pas un scoop Hunter Thompson prenait de tout : amphet, mescaline, dexedrine, LSD, Tequila… ce n’est pas à recommander. Intrinséquement defoncé, son journalisme n’en était pas moins utile et virtuose. S’il fallait en retenir quelque chose, c’est le fait d’écouter sa vision subjective de la réalité à partir de l’observation des faits et de laisser rouler ! Le lecteur suivra ou ne suivra pas…et alors ?
En l’espèce, l’écriture automatique était donc la plus puissante drogue à laquelle Doc Thompson s’adonnait:
“Il avait cette espèce de décharge électrique et se mettait à taper. Une phrase, puis il attendait de nouveau. Il avait une nouvelle décharge et il tapait une autre phrase” (…) “Ses textes lui venaient comme autant de visions et non d’un travail journalistique approfondi” (témoignage de son collègue de “Rolling Stone” Tim Crouse)
Dans ses transes éditoriales, qu’il soit sobre ou sous influence, Hunter S.Thompson a bel et bien inventé une nouvelle écriture journalistique (?) alliant fulgurances stylistiques et folie furieuse. Dans le déluge crépitant sur sa machine à écrire Selectric, il avait toujours le souci du mot juste, de l’image vraie, puissante et efficace. Voilà ce qu’il disait lui-même de sa trouvaille : “Je suis fichtrement accro à mon nouveau style (…). Un journaliste plongé dans le Gonzo est comme un junkie ou un chien minable. Il n’y a pas de remède connu”.
Son “New Journalism” suscita autant l’admiration jalouse de ses confrères que le respect stupéfait des milieux littéraires : “En pleine forme Thompson faisait étalage de l’un des rares styles originaux de ces cernières années, un style reposant, de manière presque délirante, sur l’insulte, les vitupérations et un flot d’inventions, à un degré sans précédent depuis Céline” (le critique littéraire Morris Dickstein).
“La méthode Hunter, c’est du hooliganisme mais de la meilleure sorte. Il s’agit d’ébranler les gens” (le dessinateur de presse Ralph Steadman)
Passons sur le fait que le Doc pouvait rendre sa copie avec des mois de retard, qu’il forçait la porte de ses employeurs (“The Nation”, “Rolling Stone”, “Playboy”…) ivre et titubant, vétu d’un short et d’une chemise hawaïenne, coiffé parfois d’une perruque blonde ou brandissant une arme chargée, qu’il battait tous les records de notes de frais éthylo-narcotiques… A elles seules, ses méthodes de travail épuisaient ceux qui étaient chargés de le relire et de le publier :
“Une bonne part de ce qu’il écrivait arrivait sous forme d’inserts. Rien que ça, pas de fil conducteur, pas de conclusion, et il nous fallait les déplacer comme ci ou comme ça jusqu’à ce qu’on parvienne à une mosaïque qui nous plaise” (Charles Perry, responsable de la copie chez “Rolling Stones”)
“Il avait aussi besoin qu’on lui dise : Continue dans cette direction… arrête d’aller vers celle-là, ça ne donne rien. Il fallait le guider parcequ’il travaillait contre la montre (…). C’était comme être le manager d’un boxeur, ou diriger une tournée. Mon rôle avec lui allait de l’édition ligne à ligne à la gestion de la tournée” (Jann Wenner, rédacteur en chef de “Rolling Stone”).
Défoncée, cynique, ricanante, mais éminement sincère et VRAIE, la méthode Hunter est évidemment aux antipodes de ce qu’on apprend aux jeunes journalistes (“les faits, rien que les faits”) et de ce qui se pratique aujourd’hui dans ces entreprises à produire de l’information que sont devenus les journaux.
Voilà comment l’intéressé décrivait son art avec le sens de la formule qui est le sien :
Le vrai reportage Gonzo exige le talent du maître journaliste, l’oeil du photographe-artiste et les couilles en bronze d’un acteur d’Hollywood
Evidemment, le talent pur ne s’apprend pas… Mais je crois sincérement que cette vision du métier devrait être – elle aussi – enseignée dans le écoles de journalisme. Avec un peu de chance, le Doc susciterait quelques vocations Gonzo – même si l’époque ne s’y prête guère – et la presse serait sans aucun doute beaucoup moins chiante à lire et sans doute plus un peu plus lue…
Imaginez un peu un article aujourd’hui qui commencerait par cette phrase :
“Étranges souvenirs par cette nerveuse nuit à Las Vegas. Cinq ans après ? Six ? Ça fait l’effet d’une vie entière, ou au moins d’une Grande Époque — le genre de point culminant qui ne revient jamais”. Ca aurait de la gueule non ?
Alors la méthode Hunter demain au programme du CFJ ou de l’ESJ de Lille ? Pas sûr que cela plairait au Duke… Voici en Bonus la définition du métier délirante et pleine de fureur qu’il nous a laissé avant de se tirer une balle dans la tête il y a quelques années :
“Journalism is not a profession or a trade. It is a cheap catch-all for fuckoffs and misfits – a false doorway to the backside of life, a filthy piss-ridden little hole nailed off by the building inspector, but just deep enough for a wino to curl up from the sidewalk and masturbate like a chimp in a zoo-cage…”
Ce qui donnerait à peu près en français :
La presse n’est fait que d’une bande de tantouzes brutales. Le journalisme n’est ni une profession, ni un métier. Ce n’est qu’un attrape-connards et un attrape-imbéciles à deux sous – une fausse porte donnant sur les prétendues dessous de la vie, une misérable et écœurante fosse à pisse condamnée par les services de reconstruction, juste assez profonde pour qu’un poivrot s’y terre au niveau du trottoir pour s’y masturber comme un chimpanzé dans une cage de zoo
Étonnant non ?
[MàJ 03/08 - 11h50]
J-C. Feraud a publié aujourd’hui un nouvel article à ce propos sur son blog, où on y découvre un futur biopic sur la vie de Hinter Thompson, dont voici le trailer :
Cliquer ici pour voir la vidéo.
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> Article initialement publié sur “Sur Mon Ecran Radar”
> Illustrations CC FlickR par Zombie Inc. Wholesale zombies for over 20 years, Profound Whatever et mueredecine
]]>“Étranges souvenirs par cette nerveuse nuit à Las Vegas. Cinq ans après ? Six ? Ça fait l’effet d’une vie entière, ou au moins d’une Grande Époque — le genre de point culminant qui ne revient jamais. San Francisco autour de 1965 constituait un espace-temps tout à fait particulier où se trouver. Peut-être que ça signifiait quelque chose. Peut-être pas, à longue échéance… mais aucune explication, aucun mélange de mots ou de musique ou de souvenirs ne peut restituer le sens qu’on avait de se savoir là et vivant dans ce coin du temps et de l’univers. Quel qu’en ait été le sens…”
C’est sûr, Hunter S. Thompson n’aurait pas du tout aimé cela. Il partirait dans de folles diatribes, cracherait par terre en soufflant la fumée de son éternel fume-cigarette par les oreilles, agonirait d’injures les responsables de ce désastre : le Kapital, les patrons de journaux, les journalistes, les lecteurs, la technologie, Internet, les internautes, la consommation, le prêt à consommer, l’inculture et la culture du vide… bref collectivement NOUS.
Mais dans le désastre qui fait aujourd’hui de la presse une Siderurgie 2.0 (j’emprunte le concept à Pierre Chappaz) nous sommes encore quelques uns, journalistes professionnels, a essayer des chemins de traverse, faute de pouvoir prendre le maquis. On nous accuse d’être réactionnaires, rétifs au changement, aux “réformes” (le mot a tellement été “retourné” comme un gant sur le plan sémantique). Parce que nous n’adhérons pas à la logique du flux pour le flux, du toujours plus avec moins, du journalisme “Shiva” multitâches, du rédiger toujours plus court, toujours plus vite, toujours plus mal… Parce que nous moquons les nouvelles modes et refusons l’illusion que le tout-technologique sera la Panacée de la crise des médias. Ce scientisme est parfois poussé jusqu’à l’absurde : avez-vous déjà entendu parler du “robot-journalisme” auquel j’ai consacré ce billet ?
Un rail de tweet ? Photo Foxtongue sur Flickr
“Est-ce que bloguer c’est tromper ?” : quand Nicolas Celic, lui-même blogueur et grand utilisateur de Twitter m’a proposé une interview tournant autour de cette question à la Thierry Ardisson, j’ai accepté sans hésiter. L’occasion d’expliquer un peu mon travail de journaliste-blogueur et de faire un bilan après six mois d’expérience tout en évoquant l’impact des nouveaux médias sociaux sur mon métier.
Twitter est en train de nous transformer en véritables junkies de l’info, bloguer c’est de l’esclavage consenti… Morceaux choisis de cet échange initialement publié sur le blog SmallTalk de l’agence 3D Communication.
Quel est l’impact des “nouveaux médias” (blogs, Twitter, agrégateurs etc…) sur vos habitudes de journaliste ?
L’explosion des médias sociaux et l’avènement de l’Internet temps réel c’est avant tout une formidable accélération pour les journalistes : nous sommes soumis à une avalanche d’infos… ou d’intox qu’il faut analyser, hiérarchiser, classer, décider de traiter ou non. Avec Facebook, Twitter, les blogs tout le monde devient producteur ou relais d’informations : notre métier c’est plus que jamais faire le filtre, le médiateur pour raconter la bonne histoire, interagir avec les lecteurs qui risquent de perdre le fil et le sens de l’actualité. L’info sur le Net est terriblement redondante et en même temps, on ne sait plus ou donner de la tête.
Pour exister dans ce flux, le journaliste doit beaucoup plus qu’hier vérifier ce qu’on lui raconte, mieux angler ses papiers, soigner l’écriture, raconter l’histoire qu’on n’a pas vu ailleurs et bien sûr sortir de vraies infos. Avec le numérique qui fait de la presse une sidérurgie 2.0, l’imprimé qui devient peu à peu obsolète, le journalisme doit aussi faire sa révolution. C’est très darwinien : évoluer, intégrer les nouvelles technologies ou mourir…
Twitter : un ami, un concurrent, une perte de temps ?
Une drogue dure ! Un journaliste du “New Yorker” a écrit un papier qui a fait le tour de la blogosphère : “Twitter is like crack for media addicts”. Je confirme. J’ai toujours un œil sur Twitter sur mon PC au journal ou chez moi, sur mon iPhone dans le métro ou au resto, du matin au soir. Mes collègues et ma famille hallucinent. Quand je pars en vacances il me faut bien deux-trois jours pour décrocher ;-) Twitter a fait passer l’info à l’ère du temps réel, c’est sans retour.
Mais avec un peu d’organisation et de recul, on peut s’en faire un formidable allié pour choisir et filtrer ses sources, s’en servir comme d’une vigie. Twitter est devenu presque plus important pour moi que les fils AFP ou Reuters car je sais qui m’alerte et quelle est sa crédibilité. On arrive assez bien à faire le tri entre l’info et la rumeur en 140 signes et il y a des articles ou des billets de blogs que je n’aurais jamais vu sans Twitter. C’est une véritable moissonneuse à liens qui a fait passer la collecte de l’info sur Internet à l’ère industrielle !
Enfin et ce n’est pas rien à l’heure où les vieux médias vacillent, Twitter est aussi un formidable accélérateur pour diffuser ses articles, faire connaître son travail, ou en chercher. Le” journaliste marque” je n’y croyais pas, ça me rebutait culturellement. Mais là encore on y vient, car les lecteurs sont demandeurs : sur Internet, ils suivent des médias mais aussi des journalistes et des blogueurs qui deviennent eux-aussi des micro-médias.
Votre blog : Un choix ? Une contrainte ? Quelle liberté dans sa ligne éditoriale ?
Une révélation. Je fais quelque chose de nouveau tous les trois ans : du quotidien, du magazine, de l’encadrement. Ça m’est tombé dessus tout d’un coup en septembre 2009 : j’avais besoin d’écrire plus freestyle, dépasser le cadre traditionnel du journal et de la rubrique high-tech/médias que je dirige. Sur mon blog, je peux essayer des tas de choses : billets d’humeur, papiers moins économiques et plus sociétaux, reportages, portraits, business stories, chroniques culturelles, débat d’idées… avec une plume forcément plus personnelle et un peu plus déliée. Je suis le metteur en scène de mon info, pour la titraille, l’illustration et surtout je n’ai pas de contrainte de place ! Contrairement à ce qu’on raconte sur Internet, il ne faut pas forcément écrire court pour être lu : il faut essayer d’écrire mieux, raconter une histoire, toucher le lecteur…
Pour ce qui est la liberté éditoriale, je ne me pose pas trop de questions tant que mon info est sérieuse, recoupée, validée. pas de rumeurs bullshit, pas de mise en cause personnelle gratuite…Comme blogueur, je ne travaille pas différemment que quand je suis journaliste aux “Échos”. Mais c’est vrai qu’en tant que citoyen-blogueur, je me permets un peu plus de donner mon avis. De toute façon, l’objectivité journalistique n’existe pas, seule compte l’honnêteté ou ce qui s’en rapproche…
Faut-il être schizophrène pour mener de front une vie de journaliste et un blog ?
Complètement schizo ! Mais j’essaie de cloisonner : à la rédac’ j’ai des responsabilités alors je pense collectif, quand je blogue je joue forcément perso. J’ai l’hémisphère droit qui pense journal et le gauche blog… sans arrière pensées ;-) Je réserve mes infos exclusives aux “Échos” qui m’emploie, et mes humeurs à Mon écran radar. Et j’écris mes billets chez moi tôt le matin avant d’aller travailler, tard le soir ou le week-end dans la mesure où ce blog ne fait pas (encore ?) partie de mes missions au journal…
Quelles sont les réactions au sein de votre rédaction depuis que vous avez lancé ce blog ?
Disons que je passe sans doute pour un drôle d’oiseau car je suis l’un des premiers journalistes à avoir lancé son blog perso aux “Échos”. Un journal, c’est un travail d’équipe mené par une collection d’égos qui se manifestent plus ou moins. Quand quelqu’un sort du rang et devient un peu son propre média, ça peut déranger certains. Mais j’ai eu bien plus d’encouragements que de reproches. Et les journalistes sentent bien aujourd’hui que c’est dans le numérique que ça se passe.
Quel est votre rapport avec vos lecteurs depuis que vous bloguez ?
J’ai enfin trouvé ce contact avec le lecteur que je recherchais depuis vingt ans : les gens réagissent, vous engueulent ou vous félicitent. Il faut répondre, argumenter. Interagir ça aide aussi à apprendre encore, à corriger ses erreurs, à améliorer un billet, à revenir sur l’info…
Ce blog dans cinq ans ? Un jouet cassé, votre activité principale, un joli souvenir ?
Mon activité principale je pense, mais sous une autre forme plus collective : je verrais bien ce blog s’ouvrir, devenir un agrégateur d’infos et de contributions. Sur Mon écran radar pourrait devenir “Sur Notre écran radar”, une sorte de réseau social journalistique que je dirigerai tel un despote éclairé ;-)
Dernière question : de quelle personnalité, vivante ou disparue, contemporaine ou non, aimeriez-vous lire le blog ?
Sans hésitation aucune : Hunter S. Thompson, l’inventeur du “gonzo journalisme”, pour sa plume hallucinée, sauvage et totalement libre. Il utilisait certaines substances pour libérer son écriture mais c’était surtout un rebelle et un poète à la fois dans sa manière de travailler. il se définissait lui-même comme journaliste et hors-la-loi ! Cela a plus de gueule que “forçats de l’info” ou ou “OS du Web” non ? Thompson est surtout connu pour l’adaptation cinématographique de “Fear and Loathing in Las Vegas” (Las Vegas Parano) mais il a écrit des textes formidables plus proches du roman journalistique que du journalisme à la chaîne que l’on connaît aujourd’hui. Il est mort en 2005 mais je rêverai de savoir ce qu’il penserait de notre époque et de son actualité.
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> Billet initialement publié sur Mon écran radar
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